Rapport du CNDH sur l’Etat de l’égalité et de la parité au Maroc : 97 recommandations pour lutter contre les discriminations à l’égard des femmes
Le président du CNDH, M. Driss El Yazami, a présidé le mardi 20 octobre à Rabat une conférence de presse pour présenter le rapport thématique du Conseil sur le thème : ‘l’état de la parité et de l’égalité au Maroc : préserver et rendre effectifs les finalités et les objectifs constitutionnels’. Ce rapport, dont l'élaboration a été dirigée par Mme Rabéa Naciri, membre du CNDH, se veut un bilan analytique, 10 ans après la réforme du Code de la famille, 3 ans après la promulgation de la constitution de 2011 et 20 après l’adoption de la Plateforme de Beijing.
Le rapport du CNDH, qui analyse sur la base de plusieurs études nationales et internationales et propose plusieurs recommandations, relate les différentes formes de discriminations faites aux femmes notamment dans les domaines juridiques, social, politique, économique et culturel, en jetant la lumière sur les politiques publiques et ses répercussions négatives sur les femmes les plus exposées aux violations de leurs droits.
L’égalité et la parité dans le système juridique national
Sur le plan législatif post-constitution 2011, le rapport met en exergue les retards enregistrés dans la mise en place de l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discriminations (APALD) et du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance (CCFE), le rejet par le Conseil constitutionnel au motif d’inconstitutionnalité de l’alinéa 4 de l’art. 1er du projet de loi organique n° 66-13 relative à la Cour constitutionnelle qui énonce expressément le respect de la représentation des femmes dans la désignation et l’élection des membres de cette Cour, et l’absence de dispositions spécifiques pour concrétiser la parité dans la loi organique n° 02.12 (2012) relative aux nominations aux hautes fonctions.
Le rapport indique, dans le même cadre, que la part des mariages en dessous de l’âge légal a presque doublé en une décennie, passant de 7% en 2004 à près de 12% en 2013. Le pourcentage des filles dans le total des demandes de ce type de mariage représente près de 99,4%, en l’absence d’une législation spécifique relative à la violence conjugale, le viol conjugal, l’élimination des discriminations etc.
D’un autre côté, le rapport attire l’attention sur les difficultés que rencontrent les femmes, notamment pauvres, à accéder à la justice (établissement des preuves d’un préjudice, complexité des procédures judiciaires et frais associés). Il met en exergue aussi les conditions restrictives concernant l’accès de la mère à la tutelle légale sur ses enfants mineurs que sous certaines conditions très restrictives. C’est le cas aussi du divorce pour discorde (Chikak), procédure destinée à faciliter l’accès des femmes au divorce sans obligation d’établissement de preuves du préjudice, qui est entrain d’être dévoyée de son but, selon le rapport.
A cet effet, le rapport recommande d’accélérer le processus de mise en place de l’APALD en la dotant des mandats de protection, de prévention et de promotion de l’égalité et parité de genre et du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance.
Il préconise aussi d’amender le Code de la famille de manière à accorder aux femmes les mêmes droits dans la formation du mariage, dans sa dissolution et dans les relations avec les enfants et en matière successorale, d’adopter un plan de mesures destinées à sensibiliser, former et responsabiliser l’ensemble des intervenants du secteur de la justice, de reconnaître aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leur époux étrangers dans les mêmes conditions exigées pour l’épouse étrangère et promulguer une loi spécifique de lutte contre les violences à l’égard des femmes en conformité avec les normes internationales.
L’égalité et la parité dans les droits économiques, culturel et sociaux
Le rapport jette la lumière, dans son deuxième axe, sur les disparités dont souffrent les femmes en matière de jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, dans la mesure où les marocaines bénéficient moins que leurs homologues masculins des efforts consentis par le pays en matière d’éducation/formation, de santé, d’emploi, d’accès aux ressources et à la prise de décision. Ces disparités placent les enjeux de l’égalité et de l’équité de genre au cœur des défis du développement social, économique et politique du Maroc.
A cet effet, le rapport du CNDH recommande de donner la priorité aux réformes renforçant la transformation structurelle de l’économie, encourager les investissements et stimuler la croissance pour faciliter l’accès des femmes à des emplois décents dans les secteurs innovants et à forte productivité, étendre la protection légale aux travailleuses par le développement de régimes de protection décentralisés et à base communautaire, interdire le travail domestique avant l’âge de 18 ans et lutter contre les discriminations à l’encontre des travailleuses.
D’un autre côté, le Conseil recommande de promouvoir la participation paritaire à tous les niveaux et prévoir des sanctions pour l’ensemble des parties prenantes qui ne respectent pas le principe de la parité et d’asseoir l’institutionnalisation de l’égalité et de la parité dans les politiques publiques en conformité avec la Constitution et les conventions internationales pertinentes et ajuster les priorités des politiques économiques et sociales en fonction des droits qui y sont consacrés.
Il préconise aussi d’intégrer l’approche genre de façon systématique dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi/évaluation des politiques et stratégies nationales et territoriales en conférant la priorité aux femmes les plus vulnérables, de mettre en œuvre les mécanismes institutionnels en charge de l’égalité de genre dans tous les départements ministériels et au niveau territorial, et les doter du pouvoir, mandats et moyens requis et améliorer le dispositif statistique et assurer une large diffusion des données auprès des décideurs et de l’opinion publique.
Les « subalternes » : femmes et filles les plus exposées à la violation de leurs droits
Le rapport met l’accent aussi sur la situation des femmes et filles les plus exposées à la violation de leurs droits dont les femmes âgées pauvres, les femmes en situation de handicap, les femmes célibataires, les femmes domestiques, les détenues etc. A cet effet, il préconise d’améliorer la connaissance sur la situation de ces catégories par le biais de la collecte, l’analyse et la diffusion des données et des statistiques normalisées, actualisées et sensibles à la dimension genre.
Il recommande aussi d’adopter une approche transversale dans l’ensemble des politiques sectorielles, notamment en matière d’éducation, de santé et d’emploi et de lutte contre les violences et stéréotypes à travers des campagnes de sensibilisation du public, de formation des professionnels de l’éducation, de santé, des partenaires économiques et sociaux, des professionnels des médias, des forces de sécurité et du personnel de l’administration pénitentiaire.