Entretien avec Amina Lemrini Ouahabi, membre du CCDH sur la déclaration des Nations Unies sur l’éducation et la formation aux droits de l’homme
Dans quel contexte s’est inscrite l’élaboration de la déclaration des Nations Unies sur l’éducation et la formation aux droits de l’homme ?
Il y a d’abord une prise de conscience sur le fait que l’éducation aux droits de l’Homme est un mécanisme essentiel qui permet de garantir la reconnaissance des droits de l’Homme et des libertés qui y sont associés, d’interdire les violations, et d'assurer leur pleine mise en œuvre sur le plan international. Dans ce cadre, rappelons que la Déclaration Universelle des droits de l’Homme a confirmé cette relation depuis 1945, particulièrement dans son article 26. Une relation qui a été réitérée dans l’ensemble des conventions internationales publiées par la suite. Et là, je vous renvoie à l’article 13 du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, l'article 7 de la Convention sur la lutte contre la discrimination raciale, l'article 10 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, l'article 29 de la Convention relative aux droits de l'enfant, et l'article 24 de la Convention internationale sur les personnes en situation de handicap, en plus de diverses résolutions et déclarations publiées par l’UNESCO dans ce domaine.
En dépit de ces engagements, et de certaines initiatives officielles et non officielles menées un peu partout, l’intérêt des Etats, en général, en matière de promotion de la culture des droits de l’Homme en tant que culture et pratique éducative notamment au niveau des régions qui connaissent un déficit en matière de droits de l’Homme et de démocratie, est resté timide. La déclaration de Vienne, adoptée par la conférence mondiale sur les droits de l’Homme de 1993 (paragraphes de 78 à 82), a réinscrit cette question sur l’agenda international en considérant que « l'éducation, la formation et l'information en la matière sont indispensables à l'instauration et à la promotion de relations intercommunautaires stables et harmonieuses, ainsi qu'à la promotion de la compréhension mutuelle, de la tolérance et de la paix » invitant «tous les Etats et institutions à inscrire les droits de l'homme, le droit humanitaire, la démocratie et la primauté du droit au programme de tous les établissements d'enseignement, de type classique et autres» et leur recommandant de mettre en place «des programmes et des stratégies » en faveur « de groupes donnés tels que les forces armées, les responsables de l'application des lois, le personnel de la police et les spécialistes de la santé ».
La déclaration a proposé également d’envisager la proclamation d’une décennie des Nations Unies pour l'éducation aux droits de l'homme afin de promouvoir, d'encourager et de mettre en relief ce type d'activités. C’est cette recommandation qui a été à la base de la proclamation de la décennie 1994-2005 en tant que décennie des Nations Unies pour l’éducation aux droits de l’Homme sous la houlette du Haut Commissariat aux droits de l’Homme. Le début de cette décennie a été marqué par la publication par le Haut Commissaire aux Droits de l’Homme d’un certain nombre de documents d’orientation adressés aux gouvernements et à toutes les parties concernées en vue d’élaborer des plans d’action nationaux effectifs et viables.
Cette décennie a crée une véritable dynamique dans plusieurs pays dont le Maroc (1), mais l'évaluation faite par le Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et l'UNESCO à la demande de la Commission des droits de l'homme a mis en exergue d’énormes limites. Parmi les indicateurs de ce blocage, c’est que 29 gouvernements seulement parmi près de 200 pays membres de l'Organisation des Nations Unies qui ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé à cet effet. La grande majorité de ces pays a soulevé de nombreuses difficultés et défis que rencontre l'éducation aux droits de l'homme tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif. Parmi les résultats de l’évaluation, la proposition de proclamer une deuxième décennie des droits de l’Homme (2005-2014), mais cette proposition n’a pas été unanimement acceptée par les pays. Elle a été alors remplacée par ce qui est communément reconnu par "le programme mondial en faveur de l’éducation aux droits de l’Homme" qui a été mis en œuvre en deux étapes : une première étape au cours de laquelle il a été décidé de ce concentrer sur l’enseignement scolaire (2010-2014) et l’étape actuelle (2010-2014) qui ambitionne d’ériger l’enseignement supérieur en tant que moyen pour promouvoir la culture des droits de l’Homme en particulier dans les rangs des enseignants et le corps professionnel chargé de l’application de la loi.
Pour revenir à la question du contexte, on peut affirmer qu’il y a une prise de conscience auprès de certains Etats, réitérée par certaines institutions et organisations non gouvernementales, sur l’importance de l’éducation aux droits de l’Homme, et ce qu’elle requiert comme développement de valeurs, d’orientations et de comportements à même de protéger et de promouvoir les droits de l’Homme. Cependant, la traduction de cette prise de conscience dans les faits est loin d’être un acquis, plus de six ans après la publication de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme.
Concrètement, le projet a été lancé sur une initiative commune du Maroc et de la Suisse, avec le soutien d’autres pays, connus plus tard sous le nom de «pôle de l'éducation et de la formation aux droits de l'homme" visant à soumettre une proposition du Conseil des Droits de l’Homme sur l’élaboration d’une Déclaration Universelle sur l’Education aux droits de l’Homme. Le Conseil a répondu positivement à cette demande en vertu de la décision n°6/10 du 28 septembre 2007 et a chargé la commission consultative auprès de lui, qui est une commission d’experts, d’élaborer une première esquisse du projet sur la base de larges consultations, et de présenter un rapport à ce sujet à la session du Conseil de 2009.
La commission consultative a constitué une commission de rédaction présidée par Mme Halima Ouarzazi, membre du CCDH et où M.Emanuel Decaux était rapporteur, et a organisé de larges consultations ayant concerné les gouvernements, les Institutions Nationales des droits de l’Homme et les ONGs. De la même manière que le Maroc a accueilli à Marrakech durant l’été 2008 une importante conférence dans le cadre de ce processus qui se poursuit encore.
Quels sont les objectifs de ce programme ?
Comme indiqué précédemment, plusieurs initiatives ont été menées sur le plan national et international à l’initiative des gouvernements et de la société civile, mais ces initiatives ne s’inscrivent pas dans un cadre général qui leur confère la force nécessaire pour créer un impact et de nouvelles dynamiques. D’où le besoin d’attirer l’attention de la Communauté internationale sur le caractère stratégique et structurant de l’éducation aux droits de l’Homme. Laquelle éducation permet à l’humanité, dans son pluralisme suivant la race, la couleur, le sexe et la croyance, de se rencontrer autour de l’universalité des droits de l’Homme, un patrimoine commun et riche dont la mise en œuvre se répercute positivement sur la situation des femmes et des hommes ainsi que sur les relations entre les individus et les groupements qui doivent se baser sur le respect mutuel…Aussi, on peut affirmer que l’objectif principal a une dimension politique claire, doublée d’une dimension pédagogique qui met l’accent sur la nécessité de fournir un «outil de travail» à la portée de tous. Outre les référentiels, cet outil de travail comporte des principes, des définitions, des dispositions claires et des responsabilités bien définies sur le plan de la mise en œuvre. En principe, ces consensus sont de nature à inciter les différentes parties à aller de l’avant dans ce projet, en le mettant en œuvre tout en prenant en considération leurs contextes et les accumulations en la matière et en profitant mutuellement des expériences respectives, et en procédant à des évaluations à mi-parcours afin d’en tirer les enseignements nécessaires.
A quelle étape se trouve actuellement ce projet?
Le projet est passé par plusieurs étapes, dont quelques unes ont été citées précédemment. Actuellement, la commission de rédaction a élaboré le premier draft et l’a officiellement présenté au Conseil des droits de l’Homme dans sa session de mars 2010. Suite à cela, le Conseil a adopté la résolution 15/13 en vertu de laquelle il a chargé un groupe de pays composant «le pôle de l’éducation et de la formation aux droits de l’Homme», à mener les négociations nécessaires avec les gouvernements afin de se mettre d’accord sur un texte consensuel acceptable par toutes les parties. Plusieurs rencontres ont été tenues par ce groupe dont la dernière a eu lieu du 10 au 13 janvier 2011 à l’issue de laquelle il est parvenu à une formule qui devrait être présentée et examinée par le Conseil des droits de l’Homme en septembre 2011 pour adoption définitive sous l’appellation de «la déclaration des Nations Unies pour l’éducation et la formation aux droits de l’Homme».
Est-ce que le projet est satisfaisant?
La réponse à cette question, en l’occurrence d’une très grande importance, reste tributaire des attentes des différentes parties. Mais ce qu’on peut affirmer aujourd’hui, c’est que bien que le document qui sera adopté au nom des Nations Unies soit une « déclaration » (dimension politique et morale) et non une «convention» (dimension juridique obligatoire), le processus d’élaboration du projet a eu plusieurs enjeux, principalement lors de son passage d’entre les mains de la commission de rédaction composée des experts de la commission consultative au groupement de pays qui mène les négociations avec les autres pays. L’ensemble de ces enjeux peut être mis en exergue en comparant la version élaborée par les experts, datant du 29 janvier 2010 (43 articles) et la version adoptée à l’issue de la rencontre du 13 janvier 2011 (14 articles) et qui sera présentée dans les prochains jours lors de la 16ème session du Conseil des droits de l’Homme. Plusieurs pays ont en effet veillé à affaiblir l’esprit même de ce projet notamment concernant certaines questions dont : le fait de ne pas considérer l’éducation aux droits de l’Homme comme un droit parmi les droits humains, de ne pas insister sur les responsabilités des Etats en tant que partie prenante soumise à une obligation de mise en œuvre, de ne pas évoquer clairement les instruments de suivi et d’évaluation sur les plans national et international, ni les ressources nécessaires au projet on encore la création d’un fonds spécial de financement. Durant la dernière réunion en janvier dernier, furent confrontées des positions divergentes sur ces points, ce qui peut impacter la force de la déclaration à adopter.
Quel est le rôle joué par le CCDH dans ce processus?
Notre rôle a consisté en la coordination de la contribution des Institutions nationales des droits de l’Homme en tant que partie prenante au projet, et ce depuis son lancement. Soulignons dans ce cadre que «les Principes de Paris» qui constituent le référentiel universel pour les INDH, définissent, d’une manière claire, parmi les attributions et les compétences de ces Institutions, qu'elles doivent être «associées à l'élaboration de programmes en matière d'enseignement et de recherche sur les droits de l'homme et participer à leur mise en œuvre dans les milieux scolaires, universitaires et professionnels et « faire connaître les droits de l'homme en sensibilisant l'opinion publique notamment par l'information et l'enseignement etc ». Partant de ce rôle, nous avons suivi les différentes étapes de ce processus et avons contribué, à côté d’autres acteurs, à travers nos interventions et nos réunions, et à travers la mobilisation des différents membres du CIC, à faire de cette déclaration un instrument de réflexion à portée opérationnelle afin qu’elle ait une réelle valeur ajoutée et qu’elle puisse constituer un levier pour la promotion de la culture des droits de l’Homme. Bien entendu, nous allons poursuivre cet effort lors des prochaines étapes en faisant en sorte que cette déclaration incite les INDH à jouer pleinement leur rôle dans les meilleures conditions.
1-Programme national de l’éducation aux droits de l’Homme dans le cadre du partenariat entre l’ancien ministère des droits de l’Homme et le ministère de l’Education nationale, et ultérieurement, la plateforme citoyenne pour la promotion de la culture des droits de l’Homme dont le CCDH a coordonné l’élaboration